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Ailes de la poésie

Nos mains

de : Jean-Christophe Réhel, Chronique Le poème à Réhel, Le Devoir, avril 2021

Il y a mes cheveux qui ne regardent nulle part

Il y a cette journée qui commence et qui s’achève déjà

Il y a quelques années

Un peu avant d’écrire Les volcans sentent la coconut

J’ai été hospitalisé à l’Hôtel-Dieu

Mon hémoglobine était trop basse

J’attendais le verdict des médecins

Pour savoir si j’avais le cancer

Je pleurais en boule dans mon lit

Une infirmière s’est approchée très près de moi

Elle s’est penchée pour être à ma hauteur

Elle m’a tenu la main

Elle m’a chuchoté quelque chose

Je n’ai pas eu le courage de la regarder dans les yeux

Est-ce que ça t’est déjà arrivé?

Serrer la main de quelqu’un

Que tu n’as jamais vu et que tu ne reverras plus?

Ça m’est arrivé deux fois

Je te raconterai peut-être la deuxième fois

Un jour

Dans une autre vie

Quand on sera des chats

Ou des papillons de nuit avec du poil sur les pattes

C’était durant le long congé de Pâques

J’ai pris de la cortisone tous les jours

Le médecin est entré dans ma chambre

Il m’a annoncé que je n’avais pas le cancer

Il disait que j’avais une idiopathie

Je lui ai demandé : Qu’est-ce qu’on fait maintenant?

J’ai un pouvoir

Celui de débouler les escaliers

Pour mourir

Et de revenir et revenir encore

Tout à l’heure

J’ai croisé un itinérant

Il m’a dit : Peux-tu trouver la technologie qui a servi à créer notre planète?

J’ai répondu non

Il m’a dit :

Ben c’est ça

On n’est pas si intelligents que ça

J’ai dit : Non, on n’est pas si intelligents que ça

Au loin

Il m’a crié :

Merci de m’avoir parlé

Pu personne me parle depuis la COVID

Je lui ai fait un thumps up

Je l’aurais serré dans mes bras

J’ai tellement de projets à finir

J’ai tellement de défis à relever

Ça n’a rien de triste

C’est beau

C’est la vie

C’est comme être assis avec quelqu’un qu’on aime bien

On parle du temps qui passe

On rit

On demande à notre ami s’il veut encore quelque chose à boire

Il nous dit qu’il n’a plus soif

C’est normal

Regarde le temps

Il passe vite c’est vrai

Mais n’oublie pas que le temps est de ton côté

La seconde fois que j’ai serré la main

À quelqu’un que je n’ai jamais vu

C’est dans ce poème avec toi

Je ne te connais pas

Je ne sais pas ce que tu fais dans la vie

Mais je veux essayer quelque chose avec toi :

Tends le bras

Pis ouvre la main

Vois-tu ma main?

Serre-la fort

Sens-tu ma main?

Si tu la sens

Tu as peut-être un peu percé le mystère de la poésie

Et c’est une bonne chose

Ou pas

Je ne sais pas encore

Il y a encore trop de choses que je ne sais pas

Et que je ne saurai jamais

Et c’est correct

C’est vraiment correct

Ça a l’air fou

Je sais

Je sais qu’on va se revoir

Mais penses-tu pouvoir me faire une promesse?

Si un jour

On te demande :

As-tu déjà serré la main de quelqu’un que tu ne connais pas et que tu ne reverras plus?

Tu pourras répondre :

Oui

Tu pourras répondre :

Une seule fois

Dans un journal

Avec un gars bien normal.

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